Whipping The Shit Out of Us (2021).
Performeuse et concept : Alice Bories.
Cette performance a été filmée dans un parking souterrain dans la nuit du 27 au 28 février.
Matériel utilisé : peinture vinylique, toile de chanvre, fouet en cuir tressé.
L’idée de cette performance m’est venue en regardant un concert de Manitas de Plata et José Reyes accompagné par Salvador Dali qui dessine un cavalier sur son cheval : le geste, magistral, enlevé, violent, me faisait penser à un fouet qui vient flageller la toile, comme en la domestiquant, ou en domestiquant l’idée, la violence contenue dans l’être. L’acte de peindre devenait alors cathartique.
Plus tard, je pensais à la série Tirs de Niki de Saint Phalle. J’ai alors voulu fouetter une grande toile, y déverser toute ma colère, ma colère envers le patriarcat qui nous oppresse, y déverser toutes mes émotions, ma joie aussi. Je voulais apparaître masquée, anonyme, comme je pensais aux Guerilla Girls et à Rebecca Horn, et n’être plus qu’un corps qui se fond avec l’œuvre, qui reçoit lui aussi les coups de fouet et les éclaboussures de peinture.
Le choix des chaussures à talons : symbole ambiguë de féminité conventionnelle, d’oppression qui est devenu symbole de puissance féminine dans la société contemporaine. La performance devient alors un rituel exutoire, où la performeuse se réapproprie ce média si longtemps réservé aux hommes. Le contexte actuel, baigné dans une violence policière indubitable et dans une impossibilité d’être, est sans aucun doute un activateur de ce concept.
Au travers de l'écran (2021).
Performeuse et concept : Alice Bories.
Cette performance a été filmée dans la journée du 26 février.
Le trajet effectué part de la rue des dames et s’achève au Sacré-Cœur, en passant par l’avenue de Clichy et la rue Caulaincourt. Elle met en scène la Sculpture corporelle 1, réalisée en plâtre, épines de rose, fils de fer, papier mâché lanières de cuir et plumes : il s’agit d’un masque, d’une armure et d’une ceinture de chasteté. La performance permet d’activer la sculpture, de la confronter au regard de la rue. La sculpture couvre les attributs féminins considérés comme sexuels, en les rendant épineux, défensifs et abrasifs. Elle protège, mais elle reste fragile, friable, rendant ainsi compte de l’ambiguïté d’une telle démarche. Ambiguïté qui parle aussi grâce au grillage scellé devant la bouche, qui empêche mais devient un signe visuel de dangerosité. De même, la ceinture de chasteté était utilisée pour éviter le viol sur les jeunes filles, ainsi que pour les garder loin de toute relation sexuelle consentie avant le mariage. Le rendu laissé brut des bandes plâtrées fait appel à un imaginaire médical rendant compte de la blessure, qu’elle soit physique ou psychologique dans le cadre des violences faites aux femmes. Elles rendent aussi compte d’une esthétique punk et underground, que l’on retrouve chez le couturier Alexander McQueen. Les épines de rose s’adressent à l’univers du conte et de la culture populaire (La Belle au Bois Dormant, où celles-ci sont un symbole phallique / « qui s’y frotte s’y pique »). Les plumes, qui deviennent augmentation corporelle comme chez Rebecca Horn (Cockfeather Mask, 1973) : mythes de la femme-oiseau. Les lanières de cuir : harnais BDSM.
Le choix du lieu de la performance n’est pas anodin : il n’y a pas eu une seule fois, en rentrant ou en sortant de chez moi, où je ne me suis pas faite harcelée, par des regards, des paroles ou des attouchements physiques, peu importe ce que je portais et par des hommes uniquement sur cette avenue de Clichy. Il était donc important pour moi de confronter ces affreux, avec mon corps désormais armé et monstrueux, avec ma carapace, mes épines tournées vers les regards. J’espérais provoquer des échanges, ou pas. Dès le début de la performance, des hommes ont sorti leur téléphone pour me prendre en photo. Parfois de manière assumée, parfois en cachette. Certains sont même allés jusqu’à m’interpeller, prendre des selfies sans rien me demander en s’approchant de moi jusqu’à me toucher. Un homme s’est arrêté pour m’expliquer comment performer et, quand je suis partie sans rien lui dire il a commencé à me siffler pour que je revienne. J’étais devenue sans que je le veuille une bête de foire, on s’était réapproprié ce corps que j’avais transformé.
Au contraire, j’ai eu plusieurs échanges avec des femmes, tout se passait dans le regard et dans le respect, l’admiration et le remerciement parfois. Je leur offrais les reliquats de mon plumage pelé par les agressions patriarcales, plumes maculées de sang, avec lesquelles j’avais caressé les blessures que m’avaient provoqué mes propres épines.
La performance était envisagée comme un pèlerinage sur les lieux de mes souffrances, et qui se terminait par une visite à l’église, symboliquement une des sources de la misogynie et de la diabolisation du corps qui nous accable. À la fin, je rendais un hommage paradoxal, en brûlant des cierges puis en les brisant sur le parvis, en jetant ces restes à mes pieds : j’anéantissais alors l’objet phallique, et par conséquent j’actais la mise à mort du patriarcat.